Carte Ushahidi © : Jon Gosier
(Article initialement paru le 2 octobre 2012 dans Gaite Live, le magazine de la Gaité lyrique).
En médiatisant les effets dévastateurs de l’utilisation de matériaux rares dans la fabrication des appareils électroniques, artistes et hacktivistes mettent l’Afrique au centre du débat que soulève la relation entre technologies et environnement. Mais en combattant la face sombre de la révolution numérique, gare à ne pas nourrir le fantasme d’une Afrique au cœur des ténèbres.
En mai dernier, les Anonymous attaquaient bruyamment les sites de plusieurs multinationales afin de dénoncer l’implication des fabricants de téléphones mobiles et des géants de l’industrie chimique tels que Dell, Panasonic, Sony, LG, Nokia, Samsung ou le chimiste allemand Bayer dans le « trafic du coltan » qui sévit depuis plusieurs décennies à l’Est du Congo. Réagissant à l’alerte lancée par le ministre des Mines de la province du Nord Kivu suite à un regain de violence entre les différentes forces qui s’opposent pour le contrôle des zones d’extraction des minerais, leur action baptisée « Opération Coltan » devait mettre sur le devant de la scène la relation qui lie l’Afrique aux nouvelles technologies à travers le couple infernal minerais et conflits.
Si l’Afrique reste la zone la moins équipée de la planète, elle est paradoxalement au cœur de la révolution numérique car elle possède les précieux minéraux qui entrent dans la fabrication des téléphones, ordinateurs portables, consoles de jeux et dans la majorité des produits de l’industrie électronique. Les principaux minerais concernés sont : la cassitérite (minerai d’étain), le coltan (pour colombo-tantalite, un minéral mixte de tantale et niobium et qui permet d’obtenir le fameux tantale), la wolframite (minerai de tungstène) et l’or. L’étain sert à fabriquer des soudures pour les circuits imprimés électroniques ; le tantale, des condensateurs - minuscules pièces servant à stocker l’électricité ; le tungstène fournit la fonction de vibration des téléphones portables ; et l’or est employé comme revêtement des fils électriques. L’augmentation spectaculaire des quantités fabriquées conjuguée à la miniaturisation des appareils électroniques a entrainé l’explosion de la demande, provoquant au niveau mondial une lutte pour l’approvisionnement. Ce phénomène, combiné aux luttes pour la rente au niveau national, nourrit les luttes armées qui sévissent depuis la fin des années 1990 dans des zones au sous-sol particulièrement bien doté comme celui de la République Démocratique du Congo (RDC). Ce pays dispose d’énormes ressources naturelles particulièrement convoitées par l’industrie de l’électronique. Par exemple, plus des deux tiers des gisements mondiaux de coltan sont concentrés dans les provinces du Nord et Sud Kivu et du Maniema, à l’est du pays, près de la frontière avec le Rwanda. Sur son site Appfrica, Jonathan Gosier à procédé au recoupement des informations sur le suivi des crises cartographiées par Ushahidi et des zones où le coltan est exploité, mettant en évidence le chevauchement des deux cartes. (1) Dans le graphique, les zones rouges représentent les signalement de violences sur le site Ushahidi tandis que les zones bleues illustrent les zones d'exploitation du coltan. « L’exploitation du coltan a causé la destruction de l'écosystème congolais ainsi que des gorilles qui y vivaient. Plus de 10 000 agriculteurs ont été contraints de devenir des mineurs soumis à des conditions de travail exténuantes et à la violence des gangs constitués de rebelles qui font de la contrebande des minéraux. [...] Jusqu’à présent, les perdants sont la population de ce pays, les gagnants sont les multinationales. » Anonymous - Extrait du communiqué de presse du 03/05/2012 (traduction)
Sous la bannière d’“Operation Green Rights” rassemblant les Anonymous sensibles à la cause écologique, une série d’appels a donc été lancée à partir du 3 mai afin de « faire tomber » les sites des « Seigneurs du Coltan », ces multinationales accusées de s’approvisionner dans la région sans tenir compte des dégâts causés sur les hommes et la nature. Se succéderont ainsi du 10 au 12 mai les attaques des sites commerciaux comme celui de Sony ou Bayer.
Comme d’habitude, les Anonymous ont le talent de faire s’agiter la blogosphère et de mobiliser les médias. Mais la lutte contre l’extraction des minerais servant à l’industrie électronique par les utilisateurs eux-mêmes est enclenchée depuis des années. Des documentaires ont déjà été réalisés afin de dénoncer les filières d’extraction et leur liens avec les conflits meurtriers en RDC. Citons Killer Coltan réalisé par un journaliste congolais, Mvemba Dizolele, en 2006, Blood Coltan, un documentaire en français de Patrick Forestier sorti en 2007 ou encore Blood in the mobile réalisé par le danois Frank Piasecki Poulsen et diffusé en 2010. Motherboard TV - la branche vidéo du magazine Vice, a aussi produit un web documentaire.
Blood in the Mobile Official Trailer
Les artistes également se sont emparés du sujet. Steve McQueen a produit en 2007 un film en 35 mm, Gravesend. Tantalum Memorial (2008) est une installation conçues par les artistes Graham Harwood, Richard Wright et Matsuko Yokokoji qui fonctionne en lien avec la communauté congolaise de Londres. Ground/Overground/Underground (2009) est aussi une œuvre collaborative conçue par le collectif franco-congolais Mowoso.
En 2009, Jaromil, artiste multimédia et activiste provoque une rencontre / conférence sur le sujet lors du festival berlinois Transmediale et appelle à éteindre symboliquement les équipements électroniques pendant 24 heures partout dans le monde. http://www.transmediale.de/jaromil-presents-coltan-and-blood
La vidéo de “Tantalum Memorial”, 2008. Harwood, Wright et Yokokoji : http://www.transmediale.de/en/node/3076/
Il est indéniable que ces actions de sensibilisation du public/consommateur occidental exercent une certaine pression sur les grands groupes qui promettent d’être plus exigeants sur les filières d’approvisionnement. En août 2010 le congrès américain a adopté une disposition, dans la loi Dodd Frank, qui oblige les entreprises américaines à publier la liste de leurs fournisseurs de minerais pour les produits vendus aux Etats-Unis. Mais actuellement aucune loi n’interdit l’utilisation de ces « minerais du conflit » dans les appareils électroniques que ce soit dans l’Union Européenne ou aux Etats-Unis. Il n’existe aucun téléphone portable qui soit garanti sans « minerais du conflit ». Toutes ces initiatives laissent donc un goût amer et démontrent l’incapacité actuelle des utilisateurs à changer les choses. Elles pourraient aussi avoir l’effet pervers de continuer à assimiler l’Afrique au continent de tous les dangers. Le registre verbal employé : « apocalypse », « chaos », « morts atroces », associé aux images de villes dévastées, aux expéditions dignes des pires voyages au bout de l’enfer, dressent un tableau terrifiant de cette partie du monde, perpétuant cette image d’une Afrique au cœur des ténèbres.
Depuis quelques temps cependant une troisième voie se dessine, celle du commerce équitable. Aux Pays-Bas, deux agences spécialisées dans les technologies numériques et l’innovation sociale lancent FairPhone dont l’objectif est de produire des téléphones mobiles équitables. Un autre projet fait également parler de lui depuis quelques mois : c’est celui de Fairtrade Electronic. Il s’agit ici de s’appuyer sur un partage des savoir-faire et des ressources afin d’élaborer un cahier des charges de production permettant de fabriquer de l’électronique équitable ou « apaisée » (les mots sont importants) non polluante et qui intègre des salaires justes pour toute la filière, de l’extraction à la distribution. C’est une nouvelle étape, car comme le dit Morgan Segui, le porteur de ce projet : « Je ne veux pas vivre sans électronique ni sans réseaux, on va donc en produire, et je veux les mettre en place d’une manière humano-centrée ».
Oulimata Gueye
Documents et liens Pétition en ligne : http://www.change.org/petitions/ceo-of-apple-inc-make-a-conflict-free-product-that-includes-minerals-from-eastern-congo?utm_source=press&utm_content=petition&utm_campaign=en_usa_hr&utm_term=Apple-Conflict-Minerals Owni : Anonymous contre Bayer, Sony, LG, Samsung http://owni.fr/2012/05/11/anonymous-attaque-bayerd-sony-lg-samsun/ MCD n°65, « L’internet voit vert », Janv-fev 2012 Apoli Bertrand Kameni, Minerais stratégiques, PUF, 2010. http://www.puf.com/Autres_Collections:Minerais_stratégiques
Images: makerfaire Africa, Lagos, atelier Hackidemia.
« Les mouvements d'ouverture qui ont caractérisé le web (open source, open innovation, open data, open science, open education) ne concernent plus seulement une avant-garde de programmeurs idéalistes. Ils ont donné naissance, notamment sur les campus américains, à une nouvelle culture de la transmission, de l'apprentissage et de l'innovation. Ils bouleversent aujourd'hui jusqu'aux organisations les plus rigoureuses, y compris la recherche scientifique. De nombreuses activités il y a peu très élitistes, doivent désormais apprendre à s'adresser au plus grand nombre et à puiser dans la force créatrice de ce grand nombre. » François Taddei
Hackidemia est un principe de « laboratoire mobile » conçu par Stefania Druga, qui a pour objectif de familiariser les jeunes enfants et les adolescents aux sciences et aux technologies numériques par l’appropriation directe et le jeu. Pour Stefania Druga, qui a été formée à l’ingénierie pédagogique au Centre de Recherches Interdisciplinaires de l’Université de Paris Descartes dirigé par François Taddei, il est important que les enfants mettent « la main à la pâte », expérimentent, créent des robots et des prototypes pour découvrir et comprendre comment ça marche. C’est le passage idéal pour pouvoir accéder par la suite à des technologies plus complexes. Savoirs-faire partagés, créativité, mutualisation, propagation virale sont les bases de son organisation.
J’ai pu voir Stéfania à l’œuvre à Lagos l’année dernière pendant la Makerfaire Africa lors d’ateliers remarquablement bien menés. Elle revient -au sein d'un groupe élargi- avec le projet Afrimakers qui vise à ouvrir des hubs de formation dans sept villes en Afrique l’année prochaine et lance une campagne de crowdfunding. A suivre donc...
Inner Cruise - Selly Raby Kane La mode oui, mais dans un monde magique. La styliste sénégalaise explore, expérimente refuse de se laisser enfermer. A suivre.
Architecture of Independence - African Modernism
Vitra Design Museum Gallery
"When many countries in Central and Sub-Saharan Africa gained their independence in the 1960s, experimental and futuristic architecture became a principal means by which the young nations expressed their national identities. The exhibition in the Vitra Design Museum Gallery is one of the first presentations of this remarkable period of more recent architectural history. This exhibition was researched and curated by architect and author Manuel Herz, with a substantial contribution by photographer Iwan Baan. The exhibition documents more than 80 buildings in five countries; Kenya, Côte d’Ivoire, Zambia, Ghana and Senegal. The often heroic and daring designs of parliament buildings, central banks, stadiums, conference centers, universities and independence memorials mirror the forward-looking spirit that was dominant in these countries at the time. However, this architecture also represents the difficulties, contradictions and dilemmas that the young nations experienced in their independence process, as building designs and architects were often imported from foreign countries, if not from one of the former colonial powers.”
Fitting of my F.A.T.E larp outfit 2# for Henry-Pierre
Africain #makers #DoITYourself #Woelab #Togo #Lome
Future Sound of Mzansi - Documentary Trailer Johannesburg, ville mélomane, productrice de la première musique électronique du continent, le Kwaito, héritière revendiquée de l'Afrofuturisme avec Spoek Mathambo en figure de proue, scène de théâtre du ballet pantomime de musiciens dégingandés à l'instar d'un dj spoko. Tout cela méritait bien un film. Nthato Mokgata (aka Spoek Mathambo) s'y est attelé et on attend avec impatience de le voir en France.
Fantasma - Eye Of The Sun (Official)
"Of whom and of what are we contemporaries? And, first and foremost, what does it mean to be contemporary?" Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain?, Paris, Rivages, 2008. Photo: Icarus 13, Kiluanji Kia Henda
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