Abahlali BaseMjondolo. Ce Que Nelson Mandela Doit Encore Aux Pauvres

Abahlali baseMjondolo. Ce que Nelson Mandela doit encore aux pauvres

Abahlali BaseMjondolo. Ce Que Nelson Mandela Doit Encore Aux Pauvres

En 2005, onze ans après l’élection de Nelson Mandela et l’arrivée au pouvoir de l’ANC, quelques centaines de femmes et d’hommes habitant le bidonville de Kennedy Road à Durban (KwaZuluNatal) décidaient de se mobiliser contre la promesse non tenue par la municipalité de leur fournir des logements salubres. Ils marquaient ainsi l’acte de naissance d’Abahlali baseMjondolo (AbM), en Zulu « les habitants des bidonvilles », un mouvement de la base et pour la base (grass root) qui allait bientôt devenir la plus grande organisation sociale militante autonome d’Afrique du Sud. Sur le mode de ce que sera Occupy, quelques années plus tard : occupation de l’espace urbain, dénonciation des privilèges d’une élite au détriment du peuple, expérience de fonctionnement démocratique, le mouvement va très vite s’organiser pour devenir un laboratoire de la contestation de la gestion libérale du gouvernement.

Un film, Dear Mandela, sorti en 2012, documente la lutte de ces femmes et de ces hommes et revient sur ce qui est leur plus grande victoire : le droit des pauvres à parler en leur nom 1.

Si le titre du film fait explicitement référence à Nelson Mandela c’est que, vivant, il incarne la question de l’apartheid et représente encore un rempart symbolique contre ses résurgences dans la société sud-africaine contemporaine. Le Black Economic Empowerment program (BEE) mis en place en 2001et visant à réparer les inégalités raciales a contribué à l’émergence d’une classe moyenne et d’une bourgeoise noire mais n’a pas permis à la grande majorité de sortir de la misère. Pire encore, l’entrée de l’Afrique du Sud dans l’économie néolibérale au début des années 2000 a eu pour conséquence immédiate la transformation d’une grande partie de la population en une classe de parias faisant, comme le dit Achille Mbembe dans l’introduction de son nouvel ouvrage Critique de la raison nègre, « l’objet de relégation dans une ‘humanité superflue’, livrée à l’abandon, et dont le capital n’a guère besoin pour son fonctionnement » 2. Relégation qui s’est opérée sous une forme de séparation spatiale consistant à cacher les pauvres loin des villes et des centres économiques.

Abahlali BaseMjondolo. Ce Que Nelson Mandela Doit Encore Aux Pauvres

C’est d’abord pour dénoncer et combattre cette nouvelle forme d’apartheid que s’est formé Abahlali baseMjondolo. Qualifiée de « Troisième force » en référence aux manipulations autrefois orchestrées par le gouvernement de l’apartheid pour diviser la population noire, AbM par la voix de son leader Sibusiso Innocent Zikode (ou S’bu Zikode), s’est approprié la référence pour dénoncer une criminalisation de la pauvreté qui passe encore par une rhétorique malheureusement bien connue. Mais aussi pour annoncer qu’ils ne déposeront pas les armes avant qu’une quatrième force advienne prenant en compte le droit des plus fragiles et des plus pauvres à accéder à une vie meilleure.

”Nous sommes animés par la Troisième Force, celle de la souffrance des pauvres. Ceux qui nous ont trahi sont la deuxième force. La première force a été notre lutte contre l’apartheid. La Troisième Force s’arrêtera lorsque la quatrième force viendra. La quatrième force c’est la terre, le logement, l’eau, l’électricité, les soins de santé, l’éducation et le travail. Nous ne demandons que le fondamental - et non le luxe. C’est la lutte des pauvres. Il est temps que les pauvres eux-mêmes démontrent que l’on peut être pauvre dans la vie, mais pas en soi.” S’bu Zikode 3

Abahlali BaseMjondolo. Ce Que Nelson Mandela Doit Encore Aux Pauvres

La Constitution sud-africaine

Article 26. logement

Chacun a le droit d’avoir accès à un logement convenable. L’Etat doit prendre les mesures législatives et toutes autres mesures raisonnables, compte-tenu des ressources disponibles, pour parvenir à la réalisation progressive de ce droit. Nul ne peut être expulsé de sa maison ou voir sa maison démolie, sans une ordonnance du tribunal rendue après examen de toutes les circonstances pertinentes. Aucune loi ne peut autoriser d’expulsions arbitraires. 4

Le film tourné entre 2007 et 2010 documente le combat le plus emblématique d’AbM qui sera de s’opposer au Slums Act - un arêté de 2007 visant à éradiquer les bidonvilles péri-urbains dans le KwaZulu-Natal. La victoire en 2009 sera là encore marquée par la figure tutélaire de Nelson Mandela lorsque la cour suprême de Johannesburg jugera le Slums Act non conforme à la Constitution qui fut promulguée en 1996 par le « Père de la Nation ».

Mais le mouvement ne s’est pas seulement mobilisé pour le droit des pauvres à la ville. Il a mis en place une politique d’autogestion sociale apportant un soutien matériel réel aux habitants des bidonvilles. Nourri par une démarche intellectuelle radicale notamment grâce à son premier président S’bu Zikode, intellectuel autodidacte et à des intellectuels sud-africains qui ont très tôt rejoint le mouvement tels que Nigel Gibson ou Richard Pithouse, il a donné corps à une université qui prône l’accès à la connaissance par un aller-retour constant entre le « savoir » et le « faire ». Au cours de ces séances de leaving learning, Jacques Rancière et Frantz Fanon mais aussi toutes les luttes d’émancipation de par le monde, sont invoqués et servent de base de réflexion aux revendications de dignité, de reconnaissance, d’égalité et d’éducation qui sont portées comme autant d’actes politiques. Car c’est bien le terrain politique qu’AbM compte occuper quand il brandit le slogan : « Sans terre, ni toit, pas de vote ».

Comme le montre bien le film, le mouvement a fait l’objet de constantes tentatives d’intimidations et de menaces réelles de dislocation, ce qui a eu pour un effet un relatif affaiblissement ces dernières années. Mais il fait de nouveau parler de lui comme l’atteste sa page Facebook et continue surtout de prendre part activement aux revendications sociales qui secouent la nation arc-en-ciel.

Dans un récent et beau portrait fait de lui, Sibusiso Innocent Zikode annonce à qui veut bien l’entendre ” Le premier Nelson Mandela était Jésus-Christ. Le deuxième, Nelson Rolihlahla Mandela. Le troisième Nelson Mandela est « tous les pauvres du monde.” 5

Abahlali baseMjondolo prouve qu’il est possible de mener le combat contre les formes les plus oppressives de gouvernement des hommes qu’elles soient politiques ou économiques. C’est la meilleure nouvelle de ce film qui doit circuler et la médiatisation du mouvement avec 6.

A lire aussi : Sabine Cessou, « Trois émeutes par jour en Afrique du Sud », Le Monde diplomatique, mars 2013.

Notes

Dear Mandela • Réalisateurs : Dara KELL et Christopher NIZZA • Afrique du Sud / USA • 2012 • 93 minutes • Anglais / Zoulou • www.dearmandela.com ↩︎

Achille MBEMBE, Critique de la raison nègre, La Découverte, octobre 2013. ↩︎

« We are driven by the Third Force, the suffering of the poor. Our betrayers are the Second Force. The First Force was our struggle against apartheid. The Third Force will stop when the Fourth Force comes. The Fourth Force is land, housing, water, electricity, health care, education and work. We are only asking what is basic – not what is luxurious. This is the struggle of the poor. The time has come for the poor to show themselves that we can be poor in life but not in mind. » S’bu Zikode. http://abahlali.org/?p=17 ↩︎

Article 26 de la Constitution sud-africaine ”_26. Housing « Everyone has the right to have access to adequate housing. The state must take reasonable legislative and other measures, within its available resources, to achieve the progressive realisation of this right. No one may be evicted from their home, or have their home demolished, without an order of court made after considering all the relevant circumstances. No legislation may permit arbitrary evictions. » ↩︎

« The first Nelson Mandela was Jesus Christ. The second was Nelson Rolihlahla Mandela. The third Nelson Mandela are the poor people of the world. » ↩︎

Le film a beaucoup tourné dans les festivals et les réalisateurs espèrent le diffuser plus en Afrique, au Mali notamment. Voir la page Facebook : https://www.facebook.com/dearmandela ↩︎

More Posts from Associationxamxam and Others

9 years ago
David Hammons, Untitled (The Embrace), 1975 

David Hammons, Untitled (The Embrace), 1975 

(A riff on Klimt’s Kiss? or are we hallucinating…)


Tags
11 years ago
The Sirens, 1956, By Haitian Artist Rigaud Benoit

The Sirens, 1956, by Haitian artist Rigaud Benoit

8 years ago

A communications officer with a government ministry has reportedly warned people against posting pictures of themselves on social media, lest they be used in black magic rituals.


Tags
10 years ago
image

A re-working of the eponymous T.Rex glam rock anthem into an isiXhosa protest song. The track was rearranged in collaboration with composer and choir leader Bongani Magatyana, and is here presented in speaker cabinets visually quoting the Intonarumori noise-generating machines of the...


Tags
9 years ago
Ornette Coleman And Don Cherry In 1959.

Ornette Coleman and Don Cherry in 1959.

Credit: Lee Friedlander


Tags
11 years ago

Afrimakers, un projet d'initiation des jeunes aux nouvelles démarches scientifiques

Afrimakers, Un Projet D'initiation Des Jeunes Aux Nouvelles Démarches Scientifiques
Afrimakers, Un Projet D'initiation Des Jeunes Aux Nouvelles Démarches Scientifiques

Images: makerfaire Africa, Lagos, atelier Hackidemia.

« Les mouvements d'ouverture qui ont caractérisé le web (open source, open innovation, open data, open science, open education) ne concernent plus seulement une avant-garde de programmeurs idéalistes. Ils ont donné naissance, notamment sur les campus américains, à une nouvelle culture de la transmission, de l'apprentissage et de l'innovation. Ils bouleversent aujourd'hui jusqu'aux organisations les plus rigoureuses, y compris la recherche scientifique. De nombreuses activités il y a peu très élitistes, doivent désormais apprendre à s'adresser au plus grand nombre et à puiser dans la force créatrice de ce grand nombre. » François Taddei

Hackidemia est un principe de « laboratoire mobile » conçu par Stefania Druga, qui a pour objectif de familiariser les jeunes enfants et les adolescents aux sciences et aux technologies numériques par l’appropriation directe et le jeu. Pour Stefania Druga, qui a été formée à l’ingénierie pédagogique au Centre de Recherches Interdisciplinaires de l’Université de Paris Descartes dirigé par François Taddei, il est important que les enfants mettent « la main à la pâte »,  expérimentent, créent des robots et des prototypes pour découvrir et comprendre comment ça marche. C’est le passage idéal pour pouvoir accéder par la suite à des technologies plus complexes. Savoirs-faire partagés, créativité, mutualisation, propagation virale sont les bases de son organisation. 

J’ai pu voir Stéfania à l’œuvre à Lagos l’année dernière pendant la Makerfaire Africa lors d’ateliers remarquablement bien menés. Elle revient -au sein d'un groupe élargi- avec le projet Afrimakers qui vise à ouvrir des hubs de formation dans sept villes en Afrique l’année prochaine et lance une campagne de crowdfunding. A suivre donc...


Tags
8 years ago

Lu dans Oruun : Vitshois, un artiste épris de “librisme”...

oruun 

Lu Dans Oruun : Vitshois, Un Artiste épris De “librisme”...

Vitshois Mwilambwe Bondo est sans doute un des artistes congolais contemporains qui va marquer sa génération. Ayant développé une technique de collage à partir d'images récoltées dans les magazines de mode, cet artiste travaille sur le message d'un monde globalisé et dans le même temps chaotique d'où peut sortir quelque chose d'inédit. Sa notion de contemporanéité se rapporte ainsi à une idée de création résultant de rencontres, de chocs et de brassage des cultures. Héritier de la philosophie du librisme, Vitshois questionne de manière quasi permanente la place de l'art congolais sur l'échiquier du marché de l'art contemporain international. C'est donc dans une volonté d'échapper aux frontières géographiques et culturelles qu'il a créé sa propre structure à Kinshasa. Il propose à des jeunes artistes congolais sortis de l'académie des Beaux-Arts un lieu où ils peuvent venir expérimenter, échanger, apprendre et développer à travers leur travail une identité artistique propre. Une identité libérée de tout carcan et autres cases dans lesquelles, malheureusement, on essaie souvent de les confiner.

la suite ...

10 years ago

Une foire internationale pour célébrer l’art africain contemporain

Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain
Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain

whatiftheworld gallery

1:54 (1 continent : 54 pays) la foire d’art africain contemporain qui s’est tenue à Londres du 15 au 19 octobre, vient tout juste de fermer ses portes. Elle a regroupé 27 galeries triées sur le volet et plus d’une centaine d’artistes. Lancée en 2013 par Touria El Glaoui, cette plateforme a pour ambition d’accompagner l’entrée des artistes africains sur le marché de l’art international.

Mais pas seulement. A part égale, s’est tenue une série de rencontres, débats, projections, conférences, conçue par la commissaire Koyo Kouoh avec pour objectif de mettre en perspective la production artistique africaine et ses ramifications car « l’Afrique ne se limite pas à sa géographie, c’est un état d’esprit » précise la commissaire.

Cet événement est un immense succès au moment même ou l'on aurait pu penser la notion d'art africain contemporain éculée.

Il est dû à « l’énergie et au professionnalisme de l’équipe qui a une connaissance fine et intelligente du travail des artistes, contrairement à certains organisateurs de foires internationales. C’est une équipe jeune, dynamique qui a su créer un climat de partage et de solidarité, on s’échange les informations, tout le monde a envie que ça marche », confie un galeriste.

Pour Marcia Kure, artiste nigériane vivant à New York, « les artistes qui y participent ont le sentiment d’avoir l’occasion d’écrire leur « propre » histoire de l’intérieur, de se rencontrer et de se parler ».

Enfin, l’événement n’aurait surement pas eu cette ampleur sans d’une part la participation de mécènes au premier rang desquels on compte le célèbre jeune collectionneur angolais Sindika Dokolo, et d’autre part, l’écho médiatique et le succès public (collectionneurs, institutions, étudiants et grand public très présents) dont à fait l’objet 1:54.

Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain
Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain

Ibrahim Mahama

Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain

Sammy Baloji

Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain

Fayçal Baghriche

Londres, capitale de l’art africain contemporain ?

Mais le plus surprenant a été de constater l’incroyable effervescence autour de l’art africain contemporain à l’échelle de la ville entière. De la Tate Modern aux espaces alternatifs, en passant par les centres d’art et les galeries prestigieuses, pas moins d’une vingtaine d’expositions, rencontres, conférences étaient programmées dans divers lieux de Londres, mettant ainsi en lumière les affinités multiculturelles de la ville, produit d'une longue histoire spécifique.

Pour ne remonter qu’aux débuts du 20e siècle avec George Padmore et CLR James puis Stuart Hall, les intellectuels afro-caraïbeens ont nourri à partir de Londres une réflexion et une lutte contre les dominations ouvrant la voie des débats contemporains sur la culture, les médias, les identités, la post-colonialité et la mondialisation. Si cela n’a pas fondamentalement changé les choses, « les consciences ont gagné en ouverture » comme le dit Stuart Hall.

L’existence d’une « culture diasporique » pour reprendre les mots de Stuart Hall qui a su élire ses représentants dans des domaines aussi divers que la production intellectuelle, la musique, les arts et le cinéma ou encore la mise en spectacle de moments de rencontre populaires comme le carnaval de NottingHill, a permis l’émergence de lieux de réflexions et production artistiques, d’artistes et de médiateurs culturels présents aujourd’hui dans les grandes institutions.

Autant d’éléments qui ont peine à s'incarner encore aujourd’hui en France. Et si le français résonnait dans les couloirs de 1:54, il faut noter qu'un tel événement ne pourrait avoir lieu à Paris pour le moment! Ou eput-être au contraire qu'il suscitera des initiaves?

Oulimata Gueye

Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain

L'exposition Black Chronicles II, à la fondation Autograph

Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain
Une Foire Internationale Pour Célébrer L’art Africain Contemporain

Wangechi Mutu à la Victoria Miro Gallery

Quelques expositions dans la ville : Kerry James Marshall: Look See, David Zwirner gallery, jusqu'au 22/11/14 — Rotimi Fani-Kayode, Tiwani Contemporary gallery, jusqu'au 1/11/14 — Glenn Ligon: Call and Response, Camden Arts Centre jusqu'au 11/01/15 —Nike Davies Okundaye: A Retrospective, Gallery of African Art, jusqu'au 22/11/14 — Emeka Ogboh,Tiwani Contemporary gallery, à partir du 13/11/14.


Tags
8 years ago
Barkley L. Hendricks, Icon For My Man Superman (Superman Never Saved Any Black People - Bobby Seale),

Barkley L. Hendricks, Icon for My Man Superman (Superman never saved any black people - Bobby Seale), 1969

Loading...
End of content
No more pages to load
associationxamxam - African digital perspectives
African digital perspectives

"Of whom and of what are we contemporaries? And, first and foremost, what does it mean to be contemporary?" Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain?, Paris, Rivages, 2008. Photo: Icarus 13, Kiluanji Kia Henda

201 posts

Explore Tumblr Blog
Search Through Tumblr Tags