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Image extraite du film Pumzi de Wanuri Kahiu, 2009
(Article initialement paru le 18 septembre 2012 dans Gaite Live, le magazine de la Gaité lyrique).
Bristol, juin 2012, pour la première fois un centre d’art conçoit une exposition centrée sur les liens entre Afrique et science-fiction et tente de comprendre de quoi ces nouvelles affinités sont le nom.
En 2009, Neill Blomkamp, réalisateur d’origine sud-africaine, petit prodige de la culture digitale et « protégé » de Peter Jackson (le père de la trilogie Le Seigneur des Anneaux), choisit de revenir sur la terre de son enfance, plus précisément à Chiawelo, un des quartiers pauvres du district de Soweto (Johannesburg), pour tourner son premier long métrage. Mêlant habilement les esthétiques du reportage de guerre, du documentaire télé et de la science-fiction, il réalise le film qui, par son succès planétaire, va marquer l’entrée « officielle » de l’Afrique dans l’univers de la science-fiction : District 9.
Il faut sûrement attribuer à District 9 l’attention dont l’Afrique fait aujourd’hui l’objet auprès des cercles d’amateurs de science-fiction. Mais comme tous les phénomènes médiatiques, il a aussi eu comme effet d’occulter la diversité des formes qu’a pu prendre l’émergence de l’Afrique dans cet univers. En témoigne l’exposition « Super power: Africa in Science Fiction » concoctée par le très expérimental centre d’art Arnolfini à Bristol.
Pour les deux commissaires, Al Cameron et Nav Haq, il s’agissait « d’analyser la tendance récente chez certains artistes, basés en Europe ou en Afrique, à prendre le continent comme élément narratif et/ou esthétique d’une fiction spéculative ». L’exposition était enrichie d’une programmation de films, rencontres, débats, conférences qui ouvraient sur les formes multiples et les interprétations complexes d’un mouvement qui en réalité est bien antérieur au film de Neill Blomkamp.
Vue depuis la science-fiction, l’Afrique aurait-elle pour rôle de catalyser les zones d’incertitudes et de turbulences qui naissent entre techno-science, mythologie et imaginaire?
L’anthropologue Louis-Vincent Thomas a mis en évidence que la science-fiction, dans ses fonctions critiques et descriptives, « pourrait bien être la sociologie imaginaire de notre présent ». En effet, à l’heure où les technologies les plus sophistiquées s’élaborent dans les laboratoires des départements de la Défense, la SF semble moins dévolue à imaginer le futur qu’à documenter le réel d’une époque marquée par des mutations d’une amplitude sans précédent. Issue d’une civilisation occidentale qui voit ses idéaux d’omnipotence s’effondrer, la SF aurait-elle besoin de l’Afrique, figure de l’altérité absolue, pour stigmatiser les zones d’incertitudes et de turbulences qui naissent entre techno-science, mythologie et imaginaire?
En 2050, l’Afrique comptera près de 2 milliards d'habitants. La pauvreté et la violence potentielle qui l’accompagne n’aura pas disparu. Concentrée dans les villes et leurs périphéries devenues gigantesques et impossibles à cartographier, elle nourrit les craintes des départements de la Défense américains qui voient dans l’urbanisation du « Tiers monde » « le champ de bataille du futur ». Ainsi dans Tetra Vaal (2004), un des deux courts métrages de Neil Blomkamp présentés dans l’exposition, le robot policier qui se déploie dans le Township emprunte largement au dispositif MOUT (Military Operations on Urbanized Terrain) conçu par le Pentagone pour contrôler les guérillas et la criminalité urbaines et dont certains développements ont été testés à Sadr City, Tijuana et à São Paolo.
Et si District 9 fait référence explicite à l’histoire de l’apartheid avec l’épisode de District 6 et ses spectres, le film met aussi en jeu la puissance médiatique de la fabrique de l’information et sa tendance à construire une image de l’Afrique, irrémédiablement enfermée dans ses tragédies : apartheid, misère, criminalité, xénophobie meurtrière, brutalité policière, expérimentations militaires et biométriques.
« L'actuelle crise mondiale montre que l’Ouest arrive à un point de saturation... Aujourd’hui, l’Afrique est encore endormie, mais elle ne tardera plus à se réveiller et le monde s'en verra transformé au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. »
Le projet post-moderne de la science-fiction pourrait aussi être celui de produire de nouvelles visibilités.
Avec ses taux de croissance positifs, ses ressources premières stratégiques, et une population majoritairement jeune, l’Afrique dispose d’atouts porteurs d’une dynamique interne qui font d’elle le continent du futur. Pour Jonathan Dotse, blogger cyberpunk ghanéen,«l’Afrique est la frontière finale. Tous les autres continents ont joué un rôle majeur dans le profilage du monde moderne, à l’exception de l’Afrique dont le potentiel économique, culturel et intellectuel reste majoritairement inexploité. » Contrairement à une idée reçue, le continent n’est pas resté à l’écart de la révolution technologique, scientifique et médiatique. A l’instar de Spoek Mathambo, Neill Blomkamp, Nnedi Okorafor, Lauren Beukes, (les noms qui émergent quand on parle de science-fiction en Afrique), Jonathan Dotse a grandi avec la télévision et les outils technologiques. Dans un article intitulé « Developing Worlds: Beyond the Frontiers of Science Fiction », témoignage sensible et Manifeste pour une science-fiction des marges, il décrit ses premiers émois devant la découverte du genre : « Imaginez un petit africain écarquillant les yeux sur les images granuleuses d’un vieux poste de télévision réglé sur un canal VHF, un enfant qui découvre pour la première fois les images et les sons d'un monde merveilleusement étrange, au-delà des limites de la ville. C'est un de mes plus anciens souvenirs; j’ai grandi au milieu des années 1990, dans un petit immeuble tranquille de Maamobi, une enclave de la banlieue de Nima, un des bidonvilles notoires d’Accra. Mis à part la Société de diffusion gérée par l’Etat, il n’y avait à l'époque que deux autres chaînes dans tout le pays et ma famille n’avait absolument pas les moyens de s’abonner à la télévision par satellite. Néanmoins, à l'occasion, toutes sortes de programmes intéressants venus du monde entier passaient par ces chaînes publiques. C’est ainsi que j'ai rencontré la science-fiction, non pas à travers les ouvrages de grands auteurs, mais à partir d'approximations distillées de leurs grandes visions. »
Et de conclure : « Que se passe-t-il quand la jeunesse du tiers-monde a accès à des technologies qui étaient pratiquement inimaginables il y a quelques années ? Qu'advient-il si cette tendance se poursuit, disons, encore cinquante ans ? Qui est censé répondre à ces questions ? Les écrivains de science-fiction, bien sûr! »
De ces « recoins oubliés de la planète » émerge un nouveau genre dans lequel le local compose avec les codes de l’ultra modernité globalisée, la magie avec la haute technologie.
Si District 9 ou Pumzi s’inscrivent résolument dans la tradition du film d’anticipation, les productions africaines de science-fiction tentent aussi de marquer leur spécificité, notamment en se réappropriant la culture du rapport au surnaturel et au savoir magique. « Zoo City » de l’écrivaine Lauren Beukes, en est l'exemple le plus médiatisé. Edité en juin 2010, ll a obtenu l’année suivante le prestigieux prix Britannique Arthur C. Clarke du meilleur roman de Science fiction.
L’auteure se sert de la spécificité de Johannesburg, vue de Hillbrow, le quartier réputé le plus dangereux de la mégalopole, pour construire une fantasy urbaine chaotique, schizophrène et hallucinée. Sans complexes se côtoient les usages des technologies numériques et du savoir mystique dans une société qui réinvente son rapport à la nature en attribuant aux criminels (plus nombreux qu’on ne le pense) un animal symbiotique conférant à son maitre un pouvoir magique.
Autre exemple : Les Saignantes, du réalisateur camerounais Jean-Pierre Bekolo (2005). Dans le film le mevungu (association secrète de femmes qui pratiquent un rite purificateur des vols et adultères) est régulièrement évoqué par une discrète voix off féminine.
Comme l’esquissent les deux commissaires de l’exposition, ne serait-ce pas l’Afrique qui serait la grande gagnante de ces emprunts à la science-fiction? Enfin libre de dessiner les contours de sa propre modernité, elle aurait trouvé dans la science-fiction, ce nouvel «espace autre» défini par Michel Foucault, une hétérotopie dont la fonction serait d’être un formidable réservoir d’imaginaire pour élaborer son futur.
Oulimata Gueye
Africa SF, Paradoxa, avec en couverture une image de l’artiste sud-africain Tito Zungu.
" En 2010, Pumzi (2009) de Wanuri Kahiu, premier film kenyan de science-fiction, remportait le prix du meilleur court métrage au Festival du Film Indépendant de Cannes et District 9 (2009) de Neill Blomkamp, une co-production sud-africaine, était en lisse pour quatre Oscars. En 2011, l’américano-nigériane Nnedi Okorafor était la première auteure d’origine africaine à remporter le World Fantasy Award avec Who Fears Death (2010) et la sud-africaine Lauren Beukes était la première africaine a gagner le prix Arthur C. Clarke Award avec son second roman Zoo City (2010). En 2012, Ivor W. Hartmann publiait Afro SF, la première anthologie de science-fiction écrite par des écrivains africains.
Wanuri Kahiu adapte actuellement au cinéma le roman de Nnedi Okorafor; Neill Blomkamp a été promu au rang de faiseur de blockbusters hollywoodiens avec Elysium (2013); Ivor Hartman a en préparation un prochain volume de nouvelles et Leonardo DiCaprio a acheté les droits d’adaptation télé du nouveau roman de Lauren Beukes, The Shining Girls.
Si la science-fiction africaine n’est pas déjà là, elle arrive à grands pas. "
Ces lignes qui servent d’introduction à l’ouvrage Africa SF, paru en octobre 2013 et dirigé par l’universitaire anglais Mark Bould pour la maison d’édition américaine spécialisée dans la science-fiction, Paradoxa, pourraient à elles seules expliquer le pourquoi de ce livre : une actualité de la science-fiction africaine auréolée de succès médiatiques qui élargit les frontières du genre et justifie que des chercheurs et des universitaires se penchent sérieusement sur le phénomène.
Mark Bould pointe d’emblée la difficulté de l’exercice critique dans l’article qu’il consacre à trois romans emblématiques des périodes coloniales, post-coloniales et néolibérales : Qui se souvient de la mer de Mohammed Dib, La Vie et demie de Sony Labou Tansi et Utopia d’Ahmed Khaled Towfik. En choisissant de les relire à travers le prisme de la science-fiction, l’auteur se demande si il est possible / souhaitable / éthique d’inscrire ces œuvres dans une tradition littéraire occidentale sans procéder tout simplement d’une énième « réappropriation coloniale » : les européens cédant à l’attrait de « l’autre exoticisé » et « les auteurs de la périphérie redéfinissant une production locale à l’aune des gouts de la Métropole »
Pour aborder la SF africaine, il revient donc de se placer dans une perspective historique, d’examiner les rapports avec l’Occident, de penser contre le colonialisme et ses rémanences mais de penser également avec les capacités d’anticipation autochtones avec en toile de fond la globalisation et son modèle économique « star », l’ultra libéralisme.
C’est à partir de ces précautions méthodologiques que la vingtaine (19 précisément) de chercheurs, journalistes, écrivains, artistes a travaillé. Ils offrent de multiples pistes d’interprétations de ce qu’est cette SF africaine, de ses origines jusqu’à ses récents développements ainsi que ses liens diasporiques.
Parmi les nombreux articles tous aussi éclairants les uns que les autres, Malisa Kurtz fait une analyse très pertinente des deux romans cyberpunk de l’écrivaine sud-africaine Lauren Beukes, Moxiland et Zoo City qui fonctionnent comme des grilles d’interprétation de l’Afrique du Sud contemporaine. L’écrivaine se sert de fantômes, de lieux hantés et d'ex criminels « animalés » pour suggérer que dans la société post-apartheid se perpétue sous une forme nouvelle, la dichotomie propre à l’Afrique du Sud : la richesse de quelques uns obtenue par le travail et le maintien dans l’extrême pauvreté de la majorité.
Noah Tsika quant à lui revient sur Kajola (2009) de Omoniyi Akinmolayan qui restera gravé dans l’histoire du cinéma nigérian comme le premier film de science-fiction de Nollywood et la production la plus couteuse à ce jour. Or le film a immédiatement été déprogrammé quelques jours après la projection et est encore invisible à ce jour.
Dans son article l'artiste sud-africaine Pamela Phatsimo Sunstrum, défend l’usage de la SF comme outil créatif et politique permettant aux africains de réinterpréter la mythologie et les savoirs ancestraux, d’analyser le présent et d’imaginer de futurs possibles.
Il ne s'agit là que de quelques exemples, tous les articles sont passionnants car Africa SF participe à la démonstration que dans un monde multipolaire dont l’Occident n’est plus le centre, la science-fiction apparait comme un formidable potentiel imaginaire pour l’Afrique du XXIe siècle.
Oulimata Gueye
Lire également :
Dismantling the Echo Chamber: On Africa SF de Andrea Hairston parue dans la Los Angeles review of books.
Afrique et science-fiction. Un univers en pleine expansion.
Regarder :
Pumzi, le film : http://youtu.be/IlR7l_B86Fc
L’interview de Wanuri Kahiu dans ce blog
District 9, le trailer : http://youtu.be/7EAO96nYGGE