Trois nouveaux ouvrages qui vont encore renforcer la position très spécifique de l'Afrique du Sud dans la production de science-fiction africaine. Merci à Lauren Beukes qui a travers son blog promeut cette création littéraire et nous permet ainsi d'y avoir accès.
"The space Race", Alex Latimer, Umuzi.
"Apocalypse Now Now", Charlie Human, Umuzi, 2013.
"The Three", Sarah Lotz, Hodder & Stoughton, et en français "Trois" aux Editions Fleuve Noir. A paraître en mai 2014.
Ornette Coleman and Don Cherry in 1959.
Credit: Lee Friedlander
“In science fiction novels and dramas, the evil or oppression to be resisted is often systemic, and identifiable as a human construct, the outcome of a complex web of causality…”
Exposition du travail de l'artiste américain Glenn Ligon, Call and Response cet automne au Camden Arts Centre 10 October 2014 - 11 January 2015
Pour "écrire notre monde différemment", pour échapper aux diktats de la croissance, du développement et des projections des Institutions internationales telles que le FMI ou la Banque Mondiale, le dernier numéro du bulletin de Chimurenga, Chimurenga chronic convoque la science-fiction et l’illustration.
Comme d’habitude très prolixe, Chimurenga qui avait édité en 2008, Doctor Santan Echo Chamber, revient sur le potentiel de la SF, pour rendre compte du présent du continent africain et se projeter dans des futurs alternatifs.
http://www.chimurenga.co.za/
All photos by Ihsaan Haffejee
(Article initialement paru le 31 mai 2011 dans le magazine de la Gaité lyrique, Gaite Live).
« Coup 2 Gueule » extrait de l’album « Nos Connes Doléances ». 2008.
Dakar, février 2011. Afin de dénoncer une décennie de gouvernance ultra-libérale qui asphyxie la population, un groupe de rap, Keur Gui2 Kaolack, lance le mouvement d’opposition au pouvoir le plus radical et le plus médiatisé de ces dernières années et renoue ainsi avec l’engagement inscrit dans l’ADN du rap sénégalais. Retour sur la généalogie d’un mouvement qui marque encore l’histoire du hip-hop.
Difficile de comprendre le mouvement hip-hop au Sénégal sans revenir sur le groupe pionnier, les PBS : Positive Black Soul. Le duo – Didier Awadi & Doug E. Tee – se forme à la fin des années 1980, alors que la jeunesse va se trouver marginalisée par les mouvements de grèves dans l’enseignement supérieur qui vont paralyser le système et aboutir à la fermeture de nombreux départements universitaires et à l’invalidation des examens. Victimes du désengagement de l’État, les jeunes de la classe moyenne vont trouver dans le rap – ce nouveau courant musical directement importé des États-Unis – le moyen d’exprimer leur rage et leur frustration. En 1992, PBS émerge sur la scène sénégalaise et incarne une prise de position sociale fondée sur l‘auto-responsabilisation. En 1994, leur morceau Boul Falé (« T’occupe pas » en wolof), qui deviendra un véritable hymne du mouvement, va porter pour la première fois la critique populaire de l’institution gouvernementale et inscrire le rap sénégalais dans sa destinée politique. La digue est ouverte, ils seront des milliers à se déclarer rappeurs et porte-parole de la jeunesse engagée.
En mars 2000, 300 000 jeunes vont s’inscrire sur les listes électorales et revendiquer le Changement (« Sopi » en wolof) qui portera l’actuel Président Abdoulaye Wade au pouvoir. Entre temps, le rap sénégalais s’est émancipé du rap américain en se trouvant des racines africaines dans le tassou ou le taxourane, des formes ancestrales de scansion, des références intellectuelles dans les figures du panafricanisme que sont Cheick Anta Diop, Kwame Nkrumah et des maîtres spirituels comme Cheick Oumar Tall.
Democracy in Dakar
African Underground: Democracy in Dakar - Episode # 1 from Nomadic Wax on Vimeo.
En 2007, les Sénégalais qui avaient choisi de changer de gouvernement en espérant que celui-ci changerait la société sont déçus, le « sopi » ne leur a rien rapporté, mais de nouvelles élections se préparent. Le rap a, quant à lui, acquis ses lettres de noblesse et, contrairement au modèle américain qui a abandonné les revendications sociales au profit de la flambe, il assure plus que jamais son rôle de trublion politique. L’usage d’Internet s’est généralisé, modifiant les circuits de diffusion, les modes de production et les réseaux musicaux. La toute jeune équipe de Nomadic Wax – une société de production basée à Brooklyn,spécialisée dans le hip hop – dont la démarche procède à la fois du vidéo journalisme et de l’activisme, a trouvé au Sénégal matière à promouvoir la vocation politique de cette culture. Ben Herson, qui connaît très bien le terrain pour avoir présenté une thèse sur le Wolof à l’Université de Columbia, Magee Mclllvaine et Chris Moore, vont passer un mois à Dakar et partager le quotidien des groupes de rap avant, pendant et après les élections. Ils réalisent un documentaire destiné au départ à être diffusé sur le Web, en six épisodes : African Underground: Democracy in Dakar. Ce qu’ils vont découvrir et très bien montrer, c’est que la position des rappeurs a bien changé : eux qui avaient porté l’avènement de Wade, lui demandent aujourd’hui de quitter le pouvoir et entrent en résistance. Très vite, tout comme les journalistes et intellectuels qui ont choisi de critiquer l’inertie des gouvernants, ils vont devoir faire face à une répression, discrète mais effective : menaces d’emprisonnement ou de représailles sur la famille, tentatives de corruption ou censure dans les médias, qui va en partie les réduire au silence. La victoire de Wade au premier tour laisse un goût amer et marque le début d’une traversée du désert pour le rap sénégalais. Les stars vont chercher une reconnaissance à l’international laissant le terrain aux jeunes des banlieues pauvres de Dakar, Pikine, Guediawaye, Rebeuss, ou encore des villes totalement excentrées comme Kaolack.
Les damnés de la terre
C’est d’ailleurs de cette ville-carrefour, située à la frontière de la Gambie, écrasée par le soleil et les transactions en tous genres, que va venir le renouveau du mouvement rap. Ici, le modèle c’est le gangsta rap. C’est lui qui traduit le mieux l’ambiance chaotique et hors-la-loi de la ville. Le rappeur Rifou, début de notoriété nationale, revendique le statut de damnés de la terre : nous on est des bandits.
Mais les vrais chefs de file, c’est le duo que forment Kilifeu et Thiat sous le nom de Keur Gui2 Kaolack (« Keur Gui », la maison en wolof). Les partisans du mouvement de décentralisation / dé-dakarisation ne sont pas des nouveaux venus. Sur la place depuis la fin des années 1990, ils se revendiquent même comme étant le seul groupe de rap à avoir fait de la prison. Ils en ont gardé le goût de la lutte et de l’engagement politique. En 2008, ils sortent l’album « Nos Connes Doléances » dont le titre « Coup de gueule » marque le retour du rap dans l’arène politique nationale. (À noter que la vidéo a été réalisée par la société de production Gelongal, constituée par deux frères anciennement rappeurs.)
Dakar, février 2011 : Y’EN A MARRE
Onze années de gouvernance du Président Wade ont rendu le pays exsangue. La série des grands travaux qu’il a lancés rend encore plus criante la précarité économique dans laquelle la majorité de la population s’enlise et les Sénégalais n’en peuvent plus de vivre au rythme des délestages. Keur Gui2 Kaolack profite du rassemblement du Forum Social Mondial à Dakar pour tenir une conférence de presse qui n’a rien à voir avec la présentation de leur dernier album : il s’agit du lancement officiel du mouvement citoyen, « Y’en a marre » qui invite « lutteurs, marchands ambulants, ouvriers, étudiants, journalistes, enseignants, rappeurs et artistes à s’associer à cet élan de protestation pour exprimer leur « ras-le-bol » de vivre au rythme des coupures d’électricité ». Leur objectif : faire signer et déposer un million de plaintes auprès du gouvernement. Sur sa page Facebook, Keur Gui annonce la couleur : « L’heure n’est plus aux lamentations de salon et aux complaintes fatalistes face aux coupures d’électricité. Nous refusons le rationnement systématique imposé à nos foyers dans l’alimentation en électricité. La coupe est pleine : Y’EN A MARRE ». Le mouvement dénonce les injustices, le chômage, la corruption, mais il cherche surtout à faire participer la population et principalement les jeunes. Le 19 mars 2011, date anniversaire des élections, Y’en a marre convoque les jeunes dakarois à une manifestation-spectacle sur la place de l’Obélisque à Dakar. Les animateurs ont fait passer le message : tee-shirts noirs avec « Y’EN A MARRE » en lettres blanches distribués à la foule, slogans rythmés par le rap, utilisation du langage du peuple et du wolof. Signe de la mondialisation, la manifestation est relayée par les diasporas de Paris et de New York.
Journée du 19 mars 2011
Les jeunes de moins de 25 ans représentent plus de 60% de la population et, à un an des élections, les jeunes en âge de voter cristallisent l’attention des partis politiques. L’inscription sur les listes électorales est ouverte jusqu’au 30 juin. Le temps presse. Depuis le 15 avril, le collectif a lancé une campagne nationale « Daas Fanaanal » (se prémunir) pour les convaincre de s’inscrire sur les listes électorales et de retirer leur carte d’électeur. À cet effet, Keur Gui a l’intention de mobiliser le mouvement hip-hop – des rappeurs comme Fou malade*, Rifou, Eumzo Me Flower y participent déjà activement– mais aussi les chefs religieux qui sont de véritables leaders d’opinion. L’action du collectif devient rapidement la cible du gouvernement qui interdit les rassemblements et les conférences de presse de ses membres. Mais Keur Gui n’a pas peur, ils « circulent avec leur acte de décès » !
La révolution sénégalaise est en marche, les pages Facebook qui visent les élections et les hastag sur twitter se multiplient, les mouvements citoyens ont le vent en poupe. Gageons que cette fois, c’est le rap qui en sortira vainqueur. Car à n’en pas douter, la relève est assurée.
Oulimata Gueye
Didier Awadi – Samy Dorbez, Dégage, mars 2011
Gerald Machona: Vabvakure (People from Far Away) (Zimbabwe)
Artist Statement: “Central to this body of work is my use of various decommissioned currencies as an aesthetic material,” explains Machona, “in an attempt to link historic and contemporary trends of African diasporic migration on the continent. Most recently, the migration of Zimbabwean nationals into neighbouring SADC countries and abroad, following the country’s political and economic collapse. While South Africa hosts the largest population of these Zimbabwean nationals living in the diaspora, in May of 2008 they were amongst the foreign nationals persecuted by the xenophobic attacks. It was reported that people were targeted through a process of profiling that assumed authentic South Africans are lighter in complexion or fluent in an indigenous language; this resulted in 21 of the 62 casualties being local citizens. Such beliefs have complicated who is considered an ‘insider’ and ‘outsider’ in South African society. Pitting ‘native’ against ‘alien’ and perpetuating an exclusive sense of belonging that is reminiscent of apartheid doctrine. There is a growing need in the post-colony to deconstruct these notions of individual and collective identity, since ‘nations’, ‘nationalisms’ and ‘citizenry’ are no longer defined solely through indigeneity or autochthony.”
Publié dans le magazine du Goethe Institut RDC
Vu d’Occident il semblerait que le futur devienne une notion obsolète voire une vision inquiétante. Mais sur le continent africain la perspective est tout autre portée par la mondialisation, l’essor des technologies numériques et une jeunesse qui veut croire que de nouvelles perspectives s’ouvrent à elle. Alors qu’une élite entreprenante emboite le pas au modèle techno-capitaliste néolibéral, des voix se font entendre pour imaginer des futurs non alignés sur les modèles de développement occidentaux qui ont largement montré leurs limites.
En Europe le futur serait-il devenu une notion obsolète? Les crises à répétition du capitalisme financier, la menace d’un changement climatique dont les effets destructeurs seraient irrémédiables pour la planète, la multiplication des conflits et les mouvements massifs de population qui en résultent, l’écart croissant séparant les plus riches des plus pauvres, nourrissent le sentiment que ce qui est « à venir » n’est peut-être plus du tout désirable.
Du côté des États-Unis, le futur apparait totalement confisqué par les projections des maîtres de la Silicon Valley. À travers le projet trans-humaniste développé au sein des laboratoires de la Singularity University fondée par le futurologue Ray Kurzweil, les grandes entreprises de la révolution numérique prétendent relancer le progrès grâce principalement aux recherches dans les neurosciences qui pourraient transformer notre humanité. En attendant l’avènement d’un être nouveau issu de l’union de l’homme et de la machine, elles inondent le monde de gadgets technologiques plus futuristes les uns que les autres destinés à remporter notre adhésion.
Mais ces deux visions ne prennent pas en compte les profondes transformations géopolitiques amorcées au siècle dernier qui façonnent les débuts du XXIe siècle. En effet, l’entrée de nouveaux acteurs dans la politique et l’économie mondiales ont provoqué des transferts de pouvoirs et fait émerger des puissances alternatives. De ce monde multipolaire dont l’Occident n’est plus le centre surgissent de nouvelles représentations qui fonctionnent comme autant d’outils collectifs de spéculation et mettent à jour de nouvelles potentialités.
Avec des taux de croissance positifs, des ressources premières stratégiques, un équipement technologique grandissant et une population majoritairement jeune – en 2050 le continent africain comptera 2,4 milliards d’Africains dont près de la moitié aura moins de 18 ans et dont 60 % vivra dans les villes –, l’Afrique dispose d’atouts générateurs d’une dynamique qui fait d’elle le continent du futur. Mais si l’Afrique est le continent du futur, il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, un Africain sur deux est encore en situation de grande pauvreté. La conjonction population majoritairement jeune / taux de chômage élevé / urbanisation galopante / incapacité actuelle des gouvernements à satisfaire les besoins en énergies prévaut dans de nombreux pays et est potentiellement explosive. Les très convoités minerais de l’électronique – la cassitérite, le coltan, la wolframite et l’or qui entrent dans la fabrication de la majorité des produits électroniques – sont avant tout des facteurs de conflit. Et depuis quelques années, le continent abrite parmi les plus grandes déchetteries à ciel ouvert de matériel électronique au monde.
Face au grand écart que vit le continent au quotidien, des voix s’élèvent pour défendre l’idée que si l’Afrique veut élaborer des futurs qui lui soient profitables, il lui faut accomplir une profonde révolution culturelle.
C’est ce à quoi s’attachent deux initiatives remarquables, portées d’un côté par un économiste et écrivain sénégalais, Felwine Sarr et de l’autre, par un collectif, le WɔɛLab au Togo.
La démarche de Felwine Sarr développée notamment dans son dernier ouvrage, Afrotopia, se revendique comme une « utopie active » et pourrait peut-être bien devenir le terreau d’un mouvement intellectuel et artistique. Pour l’économiste, ce dont souffre l’Afrique, c’est avant tout d’un déficit « d’une pensée et d’une production de ses propres métaphores du futur ». Pour que le continent puisse « se penser, se représenter, se projeter » Felwine Sarr prône le non alignement sur les modèles de développement tels qu’ils ont été conçus par les puissances occidentales et qui fonctionnent pour l’Afrique comme l’objectif à atteindre quelqu’en soit le coût humain, culturel et social. C’est en opérant la rupture et en procédant à une archéologie des cultures locales que le continent africain parviendra à mettre en place des modèles autochtones « plus conscients, plus soucieux de l’équilibre entre les différents ordres, du bien commun et de la dignité ». Au delà, c’est en trouvant sa force propre que l’Afrique pourra contribuer à « porter l’humanité à un autre palier ».
Ouvert en 2012 par l’architecte / anthropologue Sename Koffi Agbodjinou, le WɔɛLab qui se définit comme le premier espace de démocratie technologique est également une utopie active. Ce fablab / hackerspace / incubateur / école, revendique l’action « par la base et pour la base », combat la notion de propriété et a pour ambition de redonner aux citadins une capacité d’action en articulant réapropriation des savoirs vernaculaires, technologies numériques, culture du partage et intelligence collective. Concretement, sa démarche consiste à transposer en milieu urbain des modes de fonctionnement traditionnels qui ont prouvé leur efficacité, comme par exemple les enclos d’initiation (espaces d’apprentissage dans lesquels les jeunes réunis par tranche d’âge sont accompagnés pour détecter leur compétences et les transformer en savoir-faire) à les mettre au service d’innovations technologiques utiles et viables économiquement. Il s'est récemment distingué à l’échelle internationale en concevant la première imprimante 3D quasiment exclusivement à partir de déchets informatiques recyclés.
Ces démarches nous suggèrent que pour penser le futur de l’Afrique il convient donc de se placer dans une perspective plurielle et non alignée, de penser avec les capacités d’anticipation autochtones et contre les rémanences du colonialisme soutenues par la globalisation et son modèle économique « star », l’ultra libéralisme.
Oulimata Gueye
WɔɛLab http://www.woelabo.com/
Felwine Sarr, Afrotopia, Philippe Rey, Paris 2016, 160 pages.
"Of whom and of what are we contemporaries? And, first and foremost, what does it mean to be contemporary?" Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain?, Paris, Rivages, 2008. Photo: Icarus 13, Kiluanji Kia Henda
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